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Le blog de Jonathan Itier

Satires et bilans

Symphonie du gourou - Premier mouvement (allegro)

 

 

    « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob,

non des philosophes et des savants.

Certitude, certitude, sentiment, joie, paix (…) »

Extrait du Mémorial, Blaise Pascal, lundi 23 novembre 1654, « depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi ».

 

   « Blaise a contrefait ses conclusions pour à peu près tout : il voulait transmettre subtilement l’élémentaire Présence agissante du monde quantique à ceux qu’elle avait élu »

Antoine de Saint-Laphe, Guide Glorieux, interview du Times Magazine, 11 septembre 2025.

 

    Extrait de l’autobiographie d’Antoine de Saint Laphe, 11 septembre 2031

 

   Chaque fois qu’un homme s’élance vers un nouvel amour comme un javelot d’hoplite tout droit dans le cœur de la bête, il se forme un monde chaud dans notre univers froid, qui rassemble à lui, aussi sûrement que les trous noirs, toute l’indigente et envieuse nature de ses semblables, jusqu’en un point de compression qu’on appelle le drame. Or la délicieuse perversion du hasard, cet aristocrate des immondices -et seule divinité redoutée de mon siècle après l’économie- avait décrété de me frapper deux fois d’amour, dans la personne d’une jeune étudiante et de sa copie en tout point parfaite : deux jumelles authentiques que la matrice brûlante d’une italienne avait engendré à presque deux décennies de là où commence mon destin.

 

   Lorsqu’elles posèrent leurs regards de piéta sur moi, je n’étais alors rien qu’un mort supplémentaire qui mâchonnait, années après années, la carcasse d’hommes illustres pour les jeunes esprits les plus cadavériques que l’occident chrétien ait pu voir en deux mille ans. J’avais, bien sûr, connu l’expérience de quelques femmes, mais ce qu’elles convoitaient dans cette pose de supériorité affectée qui creusait si bien le fossé entre ma tranquillité et celles des autres, s’anéantissait dès qu’elles partageaient mon lit : derrière l’homme blessé et spirituel que je paraissais, il n’y avait qu’un être aux besoins tout à fait au niveau de la morale commune, le type même de l’aspirant médiocre au bonheur… Aucune ne m'a pardonné ce vice de forme. Passé quarante années dans cette vallée de larmes, je menais donc la vie de célibataire, étendu comme un gisant sous ma voûte de solitude, me consolant aux vaines friandises marchandes. Mais la déflagration de cette passion repoussa si loin toutes les molles habitudes que j’avais formées, que je conçu soudain dans l’idée d’un avenir inconnu avec elle la joie des grandes renaissances. Elle venait d’avoir dix-neuf ans et, comme je l’ai dit, la nature l’avait dédoublée. Je puis révéler enfin, après toutes ces années de ministère, que cette rencontre fut la cause de celui que vous nommez et aimez désormais comme votre guide glorieux Antoine de Saint-Laphe, maître suprême de l’église néo-janséniste, an trois cent quatre-vingt-douze après Blaise Pascal.

 

   A cette époque les méduses fétides de l’inspection à l’éducation remuaient sur mon cas et m’accusaient de jargonner, de périphraser, de ratiociner… en quelques mots : d’approfondir l’ignorance des lycéens sur tous les sujets des arts et des lettres. Il faut vous dire qu’à chaque génération, ces sales petits margoulins proliférant de l’économie de marché revenaient incessamment plus arrivistes. Si, tapis dans leurs yeux engourdis aux chatoiements délirants de l’hideuse réclame, je croyais voir danser des feux follets d’intelligence, il ne s’agissait jamais que d’une flatulente anomalie… que le silence éternel de leur bêtise infinie recouvrait toujours. Ma hiérarchie d’émasculés menaçait donc votre serviteur de se retrouver au chômage pour motif de sabotage des puretés, et j’aurais pu voir ma dernière heure sur la terre arriver sans la foudre enragée de cet amour, qui fut ma force et ma rédemption, amen.

 

    Ô nez d’aigle d’Orient ! Ô figure ovale de mater dolorosa ! Ô Œil de cendre, si profond que pour se défaire de ton obsédant souvenir, il faudrait comme s’arracher du puits de la nostalgie elle-même ! Un déluge de feu ocre poussait sur le mont divin de tes deux crânes et commençait sa danse de cercles jusqu’aux seins. Un prodige végétal fusait de tes quadruples paumes : vingt doigts hurlants comme l’herbe est folle, et dont le moindre effleurement sur la peau aurait fait pleurer d’amour l’impérieux Xerxès ! Enfin, pour achever de découronner ma souveraine indifférence aux choses, ton patronyme était « Pascal », comme l’agneau d’Israël dont le sang macula les portes des esclaves de Pharaon. Je dirai donc que j’aimais mes « jumelles Pascal » plus que leurs parents, leurs prophètes et leur Dieu unique, mais de cet amour païen qui regarde le plaisir comme sa destination naturelle… Oserais-tu dire que cette disposition t’ai déplus ?

 

     Je n’avais plus rien à voir avec nos catholiques post-industriels et leurs églises de monoprix, avec le relâchement coupable de toutes les bonnes volontés de la race blanche qui, estropiées, ruinées, rédimaient leurs prédations séculaires dans leurs sanglots propitiatoires de pleureuse grecque, agonisantes, suantes, fantômes du pardon, et jamais pardonnés pourtant : tu n’aurais pas su baiser avec un blanc de cette souche maudite d’Occident, qui ne sait plus bander que lorsqu’on le lui demande ! Rien à voir non plus avec nos athées illuminés et leur religion du droit des hommes, et cette consternante abolition de tous les érotismes pour une pornographie de satire où exulte la raison des marchés, bestiaux malades, lait et miel frelatés, pétrole du jardin d’Eden dans les nouvelles Jérusalem climatisées… Non Jésus ! Sitôt que tu as tourné le dos, les marchands retournent au temple, et ils font le commerce du bois et des clous qui vont te crucifier ! Rien à voir, enfin, avec vos hommes d’Afrique du Nord ou d’Orient, qui portent leur exaltation érotique dans leurs frustrations, leurs interdits mystiques, tous empoisonnés d’homosexualité contrainte, forcés de s’empoigner les membres virils dans les bains, en douce, et jamais d’autres femmes connues qu’une sœur, une mère, sur lesquelles ils s’arrogent une toute-puissance de nain… Il te fallait un païen, un Saint-Laphe, héritier de la vieille noblesse d’épée, fleur rare des forêts sombres, un celte, un germain, un franc aux mains tachées de ses ennemis, qui vénère les astres comme des mamelons, avec la même ferveur d’incendie que le nouveau-né qui hardiment se fraie son chemin à travers la nuit sanglante des organes, au seuil du monde… Tu nous as rétablis dans la véritable sauvagerie des Anciens… et il fallait bien cela pour échapper à toute la sordide imposture de cet âge d’infamies !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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